par CORBEAU » 27 janv. 2025 02:38
Des maîtres mettaient en garde: il y a des types de méditations pour lesquelles existent des préalables de contrôle et de maîtrise de soi qu'il ne faut pas outrepasser. Ce ne sont pas des jouets! Cependant, une ère de mercantilisme et de prosélytisme a voulu ridiculiser ces appels au principe de précaution.
Il est maintenant trop tard pour ceux dont ces méditations imprudentes ont gâchés la vie entière. J'en connais et c'est infiniment triste.
QUAND LA MÉDITATION TOURNE MAL
Bouchra Ouatik
On associe généralement la méditation à la relaxation et au calme. Mais dans certains cas, la pratique de cette activité a l’effet contraire et peut mener à des expériences troublantes. Ce phénomène peu connu est pourtant loin d’être rare.
Il y a quelques années, Sophie (nom fictif) a pris part à une retraite silencieuse de méditation de 10 jours. « Je venais de terminer mes études universitaires, dit-elle. Je sentais que c’était une bonne occasion pour m’asseoir avec mes pensées et réfléchir à ce que je voulais faire dans la vie. » Mais ce qu’elle a éprouvé était aux antipodes de ses attentes. « C’est la pire expérience que j’ai vécue de ma vie. C’était vraiment un événement traumatisant. »
La retraite avait pourtant bien commencé. Je ressentais de l’amour et de l’apaisement, relate-t-elle. Mais après trois journées intensives à méditer, des symptômes étranges l’ont assaillie. J’ai eu une bouffée très intense d’anxiété. J’ai quitté la salle, puis je me suis retrouvée complètement paralysée durant une demi-heure. Je ne pouvais pas bouger mes jambes ni mes bras. Je ne comprenais pas ce qui se passait. J’ai aussi senti une décharge électrique dans mon corps. C’est comme si mon système nerveux était en train de frire.
« C’était vraiment comme un mauvais « trip » de LSD. » Une citation de Sophie (nom fictif)
Liz Munns a aussi vécu une expérience terrifiante durant une retraite de méditation il y a une quinzaine d’années. La résidente du Kansas méditait régulièrement depuis quelque temps et cela lui procurait un grand bien. Ça m’aidait à me sentir plus connectée à moi-même.
C’est à la huitième journée de sa retraite que tout a basculé, durant un exercice de balayage corporel, qui consiste à porter minutieusement son attention sur chaque partie de son corps. J’ai senti un objet de la taille d’un grain de sable dans mon cerveau, décrit-elle. Quand j’en ai pris conscience, c’est comme si mon corps avait explosé, puis s'était solidifié à nouveau. J’ai commencé à trembler violemment.
Depuis cette expérience, elle vit avec une multitude de symptômes physiques pour lesquels aucun médecin n'a pas lui trouver d'explication.
« J’ai l’impression que mon cerveau ne fonctionne plus aussi bien qu’avant, qu’il s’est brisé. » Une citation de Liz Munns.
Liz Munns a commencé à avoir des symptômes physiques inexpliqués à la suite d’une retraite de méditation.
Neesa Sunar, quant à elle, a commencé à pratiquer la méditation durant ses études universitaires en musique. Je croyais que ça m’aiderait à être plus concentrée, plus calme, explique-t-elle. L’interprète de violon alto méditait chez elle, quotidiennement.
Au fil des mois, sa santé mentale s’est détériorée. Quand je m’assoyais pour méditer, je me retrouvais à pleurer sans arrêt, dit-elle. J’ai commencé à me détourner de mes études en musique. Je m’isolais énormément. Elle se sentait de plus en plus déconnectée de la réalité, au point où elle a commencé à ressentir des symptômes psychotiques, qui l’ont menée à l’hôpital.
« Je parlais et les mots résonnaient dans ma tête. J’ai eu peur que mon crâne soit devenu vide. » Une citation de Neesa Sunar.
Neesa Sunar a commencé à avoir des symptômes psychotiques après plusieurs mois à méditer quotidiennement.
Des expériences plus répandues que l’on ne pense
Ces expériences peuvent paraître extrêmes, mais elles sont loin d’être rares, comme l’a constaté la chercheuse en psychologie Willoughby Britton, de l’Université Brown, dans le Rhode Island. On présente souvent la méditation comme un bain chaud. C’est bénin, c’est apaisant.
Elle a décidé d’étudier ce phénomène après avoir constaté, dans le cadre de son projet de doctorat, que cette pratique pouvait mener à de l’insomnie. J’en ai parlé à une enseignante de méditation et elle m’a répondu : "Tout le monde sait que si l’on médite suffisamment, on arrête de dormir. Pourquoi, vous, les psychologues, vous essayez d’en faire une méthode de relaxation?", se souvient-elle. Cela a piqué ma curiosité et je me suis demandé : Quelles autres fausses conceptions avons-nous au sujet de la méditation?
La psychologue a mené une enquête auprès d’un millier de personnes qui ont déjà pratiqué la méditation. La moitié de ceux qui ont médité au moins une fois dans leur vie ont dit avoir ressenti des effets secondaires négatifs. Mais, pour 10 % de gens, ces effets ont duré plus d’un mois et ont affecté leur fonctionnement, explique-t-elle.
La chercheuse a classé ces effets en sept catégories.
Les plus courants sont les effets émotionnels. On peut voir de la peur, de la rage, du chagrin, mais aussi l’absence complète d’émotions, dit-elle. Une femme a décrit avoir perdu toute affection pour ses propres enfants.
Certains vivent aussi des bouleversements dans leurs relations sociales. Les gens peuvent changer de façon dramatique et personne ne sait comment réagir, explique-t-elle.
D’autres, comme Liz Munns, ressentent des effets sur le plan cognitif. Parfois, j’ai de la difficulté à trouver mes mots, dit-elle. C’est comme si mon cerveau fonctionnait au ralenti. J’ai l’impression que mon quotient intellectuel a baissé.
Il peut également y avoir une altération des perceptions, allant jusqu’aux hallucinations. Les couleurs peuvent devenir plus vives, les objets peuvent changer de forme, illustre la Dre Britton.
Les effets somatiques, quant à eux, englobent des sensations physiques inhabituelles. Je sentais comme de la lave qui coulait à travers mon corps. Je pouvais la diriger dans mes jambes et dans mes bras, explique Neesa Sunar, au sujet de ses expériences de méditation.
Certains peuvent aussi éprouver un sentiment de dissociation, ce qui a été le cas pour Sophie durant plusieurs années suivant sa retraite de méditation. Je sentais que mon corps n’était plus le mien, et que je n'étais plus moi-même. Quand je marchais, je me demandais : "Qui est la personne en train de marcher? Est-ce vraiment moi?"
La dernière catégorie établie par la Dre Britton est celle des effets dits conatifs. Le terme conatif est relié à la motivation. Les gens peuvent être très emballés par leur expérience et vouloir tout quitter pour devenir moines. Ou, au contraire, perdre toute motivation pour quoi que ce soit. Une femme m’a dit avoir passé deux ans assise sur son divan à fixer le mur.
Pour venir en aide à ceux qui souffrent de tels effets, la chercheuse a fondé il y a quelques années un organisme de soutien appelé Cheetah House. Nous avons 150 rendez-vous par mois et des groupes de soutien afin que les gens sachent qu’ils ne sont pas seuls.
« Une ou deux fois par mois, une famille nous appelle et nous dit : "Notre enfant vient de sortir d’une retraite de méditation et il est maintenant à l’hôpital psychiatrique. Que doit-on faire? » Une citation de Willoughby Britton, chercheuse en psychologie, Université Brown.
Le psychiatre d’origine indienne Rishab Gupta est surpris de constater que ces effets sont méconnus en Amérique du Nord. En Inde, les gens sont plus conscients des risques liés à la méditation. Même les écrits bouddhistes anciens en font mention, explique celui qui est aujourd’hui professeur à l’Université Harvard.
Dès les années 1970, des médecins américains ont commencé à documenter des cas de psychose associée à la pratique de la méditation. Dans ses recherches, le Dr Gupta a recensé des dizaines de cas du genre dans le monde.
Les études démontrent que la majorité de ces cas de psychoses sont aigus, c’est-à-dire de courte durée et qui s’améliorent après quelques semaines de traitement.
Mais dans certains cas, comme pour Neesa Sunar, les symptômes sont permanents. On m’a dit que j’avais un trouble schizoaffectif de type bipolaire. Je devrai vivre avec cela pour le reste de ma vie, dit-elle.
Dans le cerveau d’un adepte de la méditation
Bien qu’il soit encore difficile de déterminer clairement ce qui mène à de tels effets, les chercheurs ont plusieurs hypothèses.
La pratique de la méditation a un effet sur certains neurotransmetteurs dans le cerveau. Par exemple, cela peut augmenter la production de dopamine, ce qui est corrélé avec des symptômes psychotiques. Lorsqu’il y a trop de dopamine dans le cortex limbique, les gens sont plus enclins à interpréter des événements anodins comme étant significatifs, et cela peut les mener à avoir des pensées délirantes, explique le Dr Gupta.
Un autre neurotransmetteur, le glutamate, pourrait jouer un rôle dans certains effets, selon le psychiatre. Le glutamate est un neurotransmetteur excitateur. Lorsque sa concentration augmente, comme cela peut se produire avec la méditation, cela peut mener à des expériences de dépersonnalisation ou de déréalisation.
Le chercheur en sciences cognitives Matthew Sacchet étudie, quant à lui, l’impact de la méditation sur le cerveau en temps réel. Dans son laboratoire de l’Hôpital général du Massachusetts, il mesure ces effets auprès d'adeptes expérimentés de la méditation à l’aide de technologies telles que l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle et la magnétoencéphalographie.
Bien qu’il n’ait pas étudié ce qui se produit spécifiquement durant des expériences difficiles, ses recherches permettent de mieux comprendre les mécanismes cérébraux impliqués durant la pratique de la méditation.
Nous étudions des états d’absorption profonde en méditation, explique le chercheur. À mesure que le participant entre dans ces états, on observe une diminution de l’activité dans les parties frontales du cerveau et une augmentation dans les parties postérieures. Nous pouvons interpréter ce changement comme étant associé à une réduction de la conceptualisation, des pensées narratives et du monologue intérieur ainsi qu’à une augmentation de l’attention, du sentiment de joie et de calme.
Matthew Sacchet a également observé une variation importante des ondes cérébrales dites alpha durant ces états de méditation profonde. On croit que l’activité des ondes alpha est associée au filtrage de l’information dans le cerveau. Lorsqu’elle diminue subitement, cela pourrait engendrer une sorte de rupture de ces filtres, puis un redémarrage.
Dans ses recherches, il a constaté que ces états apportaient une sensation de bien-être chez les participants. Ils rapportaient un sentiment incroyable de paix et de clarté profonde.
Toutefois, si le participant n’est pas préparé à vivre de telles expériences, l’inverse peut se produire. Les gens peuvent parfois méditer d’une façon si profonde que cela peut être difficile à intégrer ou les perturber émotionnellement, explique le chercheur.
« Ces pratiques de méditation avancées peuvent amener une perturbation radicale de l’identité, et si la personne n’y est pas préparée, cela peut être angoissant. » Une citation de Matthew Sacchet, chercheur en sciences cognitives et du cerveau, Université Harvard.
Quels sont les facteurs de risque?
Les chercheurs notent certains facteurs qui prédisposent à ressentir des effets secondaires négatifs à la suite de la pratique de la méditation, notamment, des antécédents familiaux ou personnels de troubles psychiatriques.
Le psychologue Bassam Khoury dirige un laboratoire de recherche sur les bienfaits de la méditation à l’Université McGill. Il utilise également la pratique de la pleine conscience avec ses clients. Toutefois, il fait preuve de prudence lorsqu’il observe ces facteurs de risque. Quand je vois certaines fragilités, je le dis à la personne : "Je ne vous conseille pas d'aller en retraite maintenant."
Il explique que la méditation peut faire émerger des sensations difficiles chez ceux qui ont vécu des expériences traumatiques. Une des choses qu'on fait intuitivement [en méditant] est de baisser les défenses, qui peuvent être, par exemple, cognitives. Donc, si j'enlève cette couche-là, il y a des choses qui vont surgir, par exemple des souvenirs, des traumas, des flashbacks, des expériences sensorielles dans le corps, illustre-t-il.
« À ce moment, je ne me sentais pas en sécurité. Je crois que ce que j’ai vécu était la réponse de mon système nerveux à ce sentiment d’insécurité. » Une citation de Sophie (nom fictif).
Le Dr Khoury a aussi dirigé des groupes de méditation avec des patients ayant vécu des épisodes psychotiques et pour qui la méditation s’est avérée bénéfique. On a vu une amélioration au niveau des symptômes émotionnels comme le stress, l’anxiété et la dépression, dit-il.
Pour réduire les risques d'effets négatifs, il a favorisé des exercices courts et ancrés dans la réalité. Dans la psychose, il peut rapidement y avoir certaines pensées ésotériques, dit-il. Donc, si je laisse la porte ouverte à des associations avec une énergie, une force externe, la personne peut aller vers ces associations-là, qui peuvent avoir des incidences négatives.
Neesa Sunar a vécu ce genre d’expérience durant sa pratique. On nous demandait de nous concentrer sur une lumière blanche qui émanait de notre cœur, les yeux fermés, durant 45 minutes, relate-t-elle. Puis, j’ai commencé à ressentir des symptômes physiques. Il y avait cette sorte d’énergie que je pouvais pousser à travers mon corps.
Aujourd’hui, elle est consciente qu’elle avait une prédisposition aux troubles psychotiques. Je crois que j’ai certains facteurs de risque génétiques. J’ai vécu des événements traumatiques durant l’enfance, raconte-t-elle. Je ne sais pas ce qui me serait arrivé si je n’avais jamais médité, mais je crois que la méditation n’a pas aidé.
Trouver la pratique appropriée
Bien que des antécédents de problèmes de santé mentale augmentent la probabilité de ressentir des effets négatifs, cela peut aussi survenir chez des gens qui ne présentent aucun facteur de risque.
Dans ses recherches, le psychiatre Rishab Gupta a constaté que certains types de méditation sont plus souvent associés à des épisodes psychotiques. Certaines méditations demandent une attention très dirigée, par exemple sur un mantra, sur la respiration ou sur un balayage du corps. Ces pratiques sont plus susceptibles d’être associées à des psychoses que la pleine conscience, par exemple, dans laquelle vous élargissez votre champ d’attention.
En outre, contrairement à la croyance populaire, ce ne sont pas tous les types de méditation qui ont pour but la relaxation. Plusieurs des pratiques de méditation que nous avons adoptées en Occident n’avaient pas des objectifs thérapeutiques, mais plutôt religieux, explique Nathan Fisher, chercheur en science des religions à l’Université McGill. Dans certaines de ces pratiques, c’était bien connu qu’il y aurait des épreuves difficiles. Parfois, c’était même intentionnel. Ces pratiques visaient souvent un objectif de purification.
Les expériences difficiles ne sont cependant pas toujours considérées comme faisant partie du parcours constate le chercheur. Il y a de nombreuses mises en garde dans différentes traditions au sujet des risques et des embûches que l’on peut rencontrer, mentionne-t-il. Parfois, c’était vu comme un signe que vous ne méditez pas correctement ou que vous faites une pratique avancée avant d’être prêt à la faire.
Ces nuances sont souvent absentes de l’enseignement de la méditation, constate la chercheuse Willoughby Britton. Quand les gens disent à leur enseignant de méditation qu’ils viennent d’avoir une expérience troublante, souvent, on leur répond que ça fait simplement partie du processus, dit-elle.
On m’a dit : "Si tu quittes, tu ne pourras pas revenir. Tu n’as pas besoin d’aller à l’hôpital. Tu dois continuer de méditer". Une citation de Sophie (nom fictif).
La Dre Britton ne décourage pas la pratique de la méditation, mais elle souligne que ces risques devraient être mieux connus du grand public.
Si vous vous entraînez pour un marathon, vous n’allez pas courir 40 kilomètres du jour au lendemain. Vous allez progresser très graduellement, illustre-t-elle. Et un bon athlète apprend à reconnaître la différence entre un entraînement exigeant et une blessure. Nous enseignons aux gens à reconnaître ce qui est au-delà de leurs limites et cela est différent d’une personne à l’autre.
Liz Munns aurait souhaité connaître ces mises en garde il y a 15 ans. En Occident, on nous présente la méditation comme étant le chemin ultime vers le bien-être, dit-elle. Mais j’aurais aimé savoir que la méditation n’est peut-être pas faite pour tout le monde.
Source : https://ici.radio-canada.ca/info/long-f ... se-cerveau
Références :
RESEARCH ARTICLE The varieties of contemplative experience: A mixed-methods study of meditation-related challenges in Western Buddhists Jared R. Lindahl1☯, Nathan E. Fisher2‡, David J. Cooper3‡, Rochelle K. Rosen4 , Willoughby B. Britton
https://journals.plos.org/plosone/artic ... =printable
Meditation-induced psychosis: a narrative review and individual patient data analysis
https://www.researchgate.net/publicatio ... a_analysis
Intensive whole-brain 7T MRI case study of volitional control of brain activity in deep absorptive meditation states
https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/P ... had408.pdf
Investigation of advanced mindfulness meditation “cessation” experiences using EEG spectral analysis in an intensively sampled case study.
https://www.sciencedirect.com/science/a ... 3223002282
Pleine conscience, régulation émotionnelle et psychose : états des connaissances et applications cliniques
https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/ ... _these.pdf
Progress or Pathology? Differential Diagnosis and Intervention Criteria for Meditation-Related Challenges: Perspectives From Buddhist Meditation Teachers and Practitioners
https://www.frontiersin.org/journals/ps ... 01905/full

[size=150][b]Des maîtres mettaient en garde: il y a des types de méditations pour lesquelles existent des préalables de contrôle et de maîtrise de soi qu'il ne faut pas outrepasser. Ce ne sont pas des jouets! Cependant, une ère de mercantilisme et de prosélytisme a voulu ridiculiser ces appels au principe de précaution.
Il est maintenant trop tard pour ceux dont ces méditations imprudentes ont gâchés la vie entière. J'en connais et c'est infiniment triste.[/b][/size]
[size=150]QUAND LA MÉDITATION TOURNE MAL
Bouchra Ouatik
On associe généralement la méditation à la relaxation et au calme. Mais dans certains cas, la pratique de cette activité a l’effet contraire et peut mener à des expériences troublantes. Ce phénomène peu connu est pourtant loin d’être rare.
Il y a quelques années, Sophie (nom fictif) a pris part à une retraite silencieuse de méditation de 10 jours. « Je venais de terminer mes études universitaires, dit-elle. Je sentais que c’était une bonne occasion pour m’asseoir avec mes pensées et réfléchir à ce que je voulais faire dans la vie. » Mais ce qu’elle a éprouvé était aux antipodes de ses attentes. « C’est la pire expérience que j’ai vécue de ma vie. C’était vraiment un événement traumatisant. »
La retraite avait pourtant bien commencé. Je ressentais de l’amour et de l’apaisement, relate-t-elle. Mais après trois journées intensives à méditer, des symptômes étranges l’ont assaillie. J’ai eu une bouffée très intense d’anxiété. J’ai quitté la salle, puis je me suis retrouvée complètement paralysée durant une demi-heure. Je ne pouvais pas bouger mes jambes ni mes bras. Je ne comprenais pas ce qui se passait. J’ai aussi senti une décharge électrique dans mon corps. C’est comme si mon système nerveux était en train de frire.
« C’était vraiment comme un mauvais « trip » de LSD. » Une citation de Sophie (nom fictif)
Liz Munns a aussi vécu une expérience terrifiante durant une retraite de méditation il y a une quinzaine d’années. La résidente du Kansas méditait régulièrement depuis quelque temps et cela lui procurait un grand bien. Ça m’aidait à me sentir plus connectée à moi-même.
C’est à la huitième journée de sa retraite que tout a basculé, durant un exercice de balayage corporel, qui consiste à porter minutieusement son attention sur chaque partie de son corps. J’ai senti un objet de la taille d’un grain de sable dans mon cerveau, décrit-elle. Quand j’en ai pris conscience, c’est comme si mon corps avait explosé, puis s'était solidifié à nouveau. J’ai commencé à trembler violemment.
Depuis cette expérience, elle vit avec une multitude de symptômes physiques pour lesquels aucun médecin n'a pas lui trouver d'explication.
« J’ai l’impression que mon cerveau ne fonctionne plus aussi bien qu’avant, qu’il s’est brisé. » Une citation de Liz Munns.
Liz Munns a commencé à avoir des symptômes physiques inexpliqués à la suite d’une retraite de méditation.
Neesa Sunar, quant à elle, a commencé à pratiquer la méditation durant ses études universitaires en musique. Je croyais que ça m’aiderait à être plus concentrée, plus calme, explique-t-elle. L’interprète de violon alto méditait chez elle, quotidiennement.
Au fil des mois, sa santé mentale s’est détériorée. Quand je m’assoyais pour méditer, je me retrouvais à pleurer sans arrêt, dit-elle. J’ai commencé à me détourner de mes études en musique. Je m’isolais énormément. Elle se sentait de plus en plus déconnectée de la réalité, au point où elle a commencé à ressentir des symptômes psychotiques, qui l’ont menée à l’hôpital.
« Je parlais et les mots résonnaient dans ma tête. J’ai eu peur que mon crâne soit devenu vide. » Une citation de Neesa Sunar.
Neesa Sunar a commencé à avoir des symptômes psychotiques après plusieurs mois à méditer quotidiennement.
Des expériences plus répandues que l’on ne pense
Ces expériences peuvent paraître extrêmes, mais elles sont loin d’être rares, comme l’a constaté la chercheuse en psychologie Willoughby Britton, de l’Université Brown, dans le Rhode Island. On présente souvent la méditation comme un bain chaud. C’est bénin, c’est apaisant.
Elle a décidé d’étudier ce phénomène après avoir constaté, dans le cadre de son projet de doctorat, que cette pratique pouvait mener à de l’insomnie. J’en ai parlé à une enseignante de méditation et elle m’a répondu : "Tout le monde sait que si l’on médite suffisamment, on arrête de dormir. Pourquoi, vous, les psychologues, vous essayez d’en faire une méthode de relaxation?", se souvient-elle. Cela a piqué ma curiosité et je me suis demandé : Quelles autres fausses conceptions avons-nous au sujet de la méditation?
La psychologue a mené une enquête auprès d’un millier de personnes qui ont déjà pratiqué la méditation. La moitié de ceux qui ont médité au moins une fois dans leur vie ont dit avoir ressenti des effets secondaires négatifs. Mais, pour 10 % de gens, ces effets ont duré plus d’un mois et ont affecté leur fonctionnement, explique-t-elle.
La chercheuse a classé ces effets en sept catégories.
Les plus courants sont les effets émotionnels. On peut voir de la peur, de la rage, du chagrin, mais aussi l’absence complète d’émotions, dit-elle. Une femme a décrit avoir perdu toute affection pour ses propres enfants.
Certains vivent aussi des bouleversements dans leurs relations sociales. Les gens peuvent changer de façon dramatique et personne ne sait comment réagir, explique-t-elle.
D’autres, comme Liz Munns, ressentent des effets sur le plan cognitif. Parfois, j’ai de la difficulté à trouver mes mots, dit-elle. C’est comme si mon cerveau fonctionnait au ralenti. J’ai l’impression que mon quotient intellectuel a baissé.
Il peut également y avoir une altération des perceptions, allant jusqu’aux hallucinations. Les couleurs peuvent devenir plus vives, les objets peuvent changer de forme, illustre la Dre Britton.
Les effets somatiques, quant à eux, englobent des sensations physiques inhabituelles. Je sentais comme de la lave qui coulait à travers mon corps. Je pouvais la diriger dans mes jambes et dans mes bras, explique Neesa Sunar, au sujet de ses expériences de méditation.
Certains peuvent aussi éprouver un sentiment de dissociation, ce qui a été le cas pour Sophie durant plusieurs années suivant sa retraite de méditation. Je sentais que mon corps n’était plus le mien, et que je n'étais plus moi-même. Quand je marchais, je me demandais : "Qui est la personne en train de marcher? Est-ce vraiment moi?"
La dernière catégorie établie par la Dre Britton est celle des effets dits conatifs. Le terme conatif est relié à la motivation. Les gens peuvent être très emballés par leur expérience et vouloir tout quitter pour devenir moines. Ou, au contraire, perdre toute motivation pour quoi que ce soit. Une femme m’a dit avoir passé deux ans assise sur son divan à fixer le mur.
Pour venir en aide à ceux qui souffrent de tels effets, la chercheuse a fondé il y a quelques années un organisme de soutien appelé Cheetah House. Nous avons 150 rendez-vous par mois et des groupes de soutien afin que les gens sachent qu’ils ne sont pas seuls.
« Une ou deux fois par mois, une famille nous appelle et nous dit : "Notre enfant vient de sortir d’une retraite de méditation et il est maintenant à l’hôpital psychiatrique. Que doit-on faire? » Une citation de Willoughby Britton, chercheuse en psychologie, Université Brown.
Le psychiatre d’origine indienne Rishab Gupta est surpris de constater que ces effets sont méconnus en Amérique du Nord. En Inde, les gens sont plus conscients des risques liés à la méditation. Même les écrits bouddhistes anciens en font mention, explique celui qui est aujourd’hui professeur à l’Université Harvard.
Dès les années 1970, des médecins américains ont commencé à documenter des cas de psychose associée à la pratique de la méditation. Dans ses recherches, le Dr Gupta a recensé des dizaines de cas du genre dans le monde.
Les études démontrent que la majorité de ces cas de psychoses sont aigus, c’est-à-dire de courte durée et qui s’améliorent après quelques semaines de traitement.
Mais dans certains cas, comme pour Neesa Sunar, les symptômes sont permanents. On m’a dit que j’avais un trouble schizoaffectif de type bipolaire. Je devrai vivre avec cela pour le reste de ma vie, dit-elle.
Dans le cerveau d’un adepte de la méditation
Bien qu’il soit encore difficile de déterminer clairement ce qui mène à de tels effets, les chercheurs ont plusieurs hypothèses.
La pratique de la méditation a un effet sur certains neurotransmetteurs dans le cerveau. Par exemple, cela peut augmenter la production de dopamine, ce qui est corrélé avec des symptômes psychotiques. Lorsqu’il y a trop de dopamine dans le cortex limbique, les gens sont plus enclins à interpréter des événements anodins comme étant significatifs, et cela peut les mener à avoir des pensées délirantes, explique le Dr Gupta.
Un autre neurotransmetteur, le glutamate, pourrait jouer un rôle dans certains effets, selon le psychiatre. Le glutamate est un neurotransmetteur excitateur. Lorsque sa concentration augmente, comme cela peut se produire avec la méditation, cela peut mener à des expériences de dépersonnalisation ou de déréalisation.
Le chercheur en sciences cognitives Matthew Sacchet étudie, quant à lui, l’impact de la méditation sur le cerveau en temps réel. Dans son laboratoire de l’Hôpital général du Massachusetts, il mesure ces effets auprès d'adeptes expérimentés de la méditation à l’aide de technologies telles que l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle et la magnétoencéphalographie.
Bien qu’il n’ait pas étudié ce qui se produit spécifiquement durant des expériences difficiles, ses recherches permettent de mieux comprendre les mécanismes cérébraux impliqués durant la pratique de la méditation.
Nous étudions des états d’absorption profonde en méditation, explique le chercheur. À mesure que le participant entre dans ces états, on observe une diminution de l’activité dans les parties frontales du cerveau et une augmentation dans les parties postérieures. Nous pouvons interpréter ce changement comme étant associé à une réduction de la conceptualisation, des pensées narratives et du monologue intérieur ainsi qu’à une augmentation de l’attention, du sentiment de joie et de calme.
Matthew Sacchet a également observé une variation importante des ondes cérébrales dites alpha durant ces états de méditation profonde. On croit que l’activité des ondes alpha est associée au filtrage de l’information dans le cerveau. Lorsqu’elle diminue subitement, cela pourrait engendrer une sorte de rupture de ces filtres, puis un redémarrage.
Dans ses recherches, il a constaté que ces états apportaient une sensation de bien-être chez les participants. Ils rapportaient un sentiment incroyable de paix et de clarté profonde.
Toutefois, si le participant n’est pas préparé à vivre de telles expériences, l’inverse peut se produire. Les gens peuvent parfois méditer d’une façon si profonde que cela peut être difficile à intégrer ou les perturber émotionnellement, explique le chercheur.
« Ces pratiques de méditation avancées peuvent amener une perturbation radicale de l’identité, et si la personne n’y est pas préparée, cela peut être angoissant. » Une citation de Matthew Sacchet, chercheur en sciences cognitives et du cerveau, Université Harvard.
Quels sont les facteurs de risque?
Les chercheurs notent certains facteurs qui prédisposent à ressentir des effets secondaires négatifs à la suite de la pratique de la méditation, notamment, des antécédents familiaux ou personnels de troubles psychiatriques.
Le psychologue Bassam Khoury dirige un laboratoire de recherche sur les bienfaits de la méditation à l’Université McGill. Il utilise également la pratique de la pleine conscience avec ses clients. Toutefois, il fait preuve de prudence lorsqu’il observe ces facteurs de risque. Quand je vois certaines fragilités, je le dis à la personne : "Je ne vous conseille pas d'aller en retraite maintenant."
Il explique que la méditation peut faire émerger des sensations difficiles chez ceux qui ont vécu des expériences traumatiques. Une des choses qu'on fait intuitivement [en méditant] est de baisser les défenses, qui peuvent être, par exemple, cognitives. Donc, si j'enlève cette couche-là, il y a des choses qui vont surgir, par exemple des souvenirs, des traumas, des flashbacks, des expériences sensorielles dans le corps, illustre-t-il.
« À ce moment, je ne me sentais pas en sécurité. Je crois que ce que j’ai vécu était la réponse de mon système nerveux à ce sentiment d’insécurité. » Une citation de Sophie (nom fictif).
Le Dr Khoury a aussi dirigé des groupes de méditation avec des patients ayant vécu des épisodes psychotiques et pour qui la méditation s’est avérée bénéfique. On a vu une amélioration au niveau des symptômes émotionnels comme le stress, l’anxiété et la dépression, dit-il.
Pour réduire les risques d'effets négatifs, il a favorisé des exercices courts et ancrés dans la réalité. Dans la psychose, il peut rapidement y avoir certaines pensées ésotériques, dit-il. Donc, si je laisse la porte ouverte à des associations avec une énergie, une force externe, la personne peut aller vers ces associations-là, qui peuvent avoir des incidences négatives.
Neesa Sunar a vécu ce genre d’expérience durant sa pratique. On nous demandait de nous concentrer sur une lumière blanche qui émanait de notre cœur, les yeux fermés, durant 45 minutes, relate-t-elle. Puis, j’ai commencé à ressentir des symptômes physiques. Il y avait cette sorte d’énergie que je pouvais pousser à travers mon corps.
Aujourd’hui, elle est consciente qu’elle avait une prédisposition aux troubles psychotiques. Je crois que j’ai certains facteurs de risque génétiques. J’ai vécu des événements traumatiques durant l’enfance, raconte-t-elle. Je ne sais pas ce qui me serait arrivé si je n’avais jamais médité, mais je crois que la méditation n’a pas aidé.
Trouver la pratique appropriée
Bien que des antécédents de problèmes de santé mentale augmentent la probabilité de ressentir des effets négatifs, cela peut aussi survenir chez des gens qui ne présentent aucun facteur de risque.
Dans ses recherches, le psychiatre Rishab Gupta a constaté que certains types de méditation sont plus souvent associés à des épisodes psychotiques. Certaines méditations demandent une attention très dirigée, par exemple sur un mantra, sur la respiration ou sur un balayage du corps. Ces pratiques sont plus susceptibles d’être associées à des psychoses que la pleine conscience, par exemple, dans laquelle vous élargissez votre champ d’attention.
En outre, contrairement à la croyance populaire, ce ne sont pas tous les types de méditation qui ont pour but la relaxation. Plusieurs des pratiques de méditation que nous avons adoptées en Occident n’avaient pas des objectifs thérapeutiques, mais plutôt religieux, explique Nathan Fisher, chercheur en science des religions à l’Université McGill. Dans certaines de ces pratiques, c’était bien connu qu’il y aurait des épreuves difficiles. Parfois, c’était même intentionnel. Ces pratiques visaient souvent un objectif de purification.
Les expériences difficiles ne sont cependant pas toujours considérées comme faisant partie du parcours constate le chercheur. Il y a de nombreuses mises en garde dans différentes traditions au sujet des risques et des embûches que l’on peut rencontrer, mentionne-t-il. Parfois, c’était vu comme un signe que vous ne méditez pas correctement ou que vous faites une pratique avancée avant d’être prêt à la faire.
Ces nuances sont souvent absentes de l’enseignement de la méditation, constate la chercheuse Willoughby Britton. Quand les gens disent à leur enseignant de méditation qu’ils viennent d’avoir une expérience troublante, souvent, on leur répond que ça fait simplement partie du processus, dit-elle.
On m’a dit : "Si tu quittes, tu ne pourras pas revenir. Tu n’as pas besoin d’aller à l’hôpital. Tu dois continuer de méditer". Une citation de Sophie (nom fictif).
La Dre Britton ne décourage pas la pratique de la méditation, mais elle souligne que ces risques devraient être mieux connus du grand public.
Si vous vous entraînez pour un marathon, vous n’allez pas courir 40 kilomètres du jour au lendemain. Vous allez progresser très graduellement, illustre-t-elle. Et un bon athlète apprend à reconnaître la différence entre un entraînement exigeant et une blessure. Nous enseignons aux gens à reconnaître ce qui est au-delà de leurs limites et cela est différent d’une personne à l’autre.
Liz Munns aurait souhaité connaître ces mises en garde il y a 15 ans. En Occident, on nous présente la méditation comme étant le chemin ultime vers le bien-être, dit-elle. Mais j’aurais aimé savoir que la méditation n’est peut-être pas faite pour tout le monde.
Source : https://ici.radio-canada.ca/info/long-format/2134709/meditation-effets-secondaires-psychose-cerveau
Références :
RESEARCH ARTICLE The varieties of contemplative experience: A mixed-methods study of meditation-related challenges in Western Buddhists Jared R. Lindahl1☯, Nathan E. Fisher2‡, David J. Cooper3‡, Rochelle K. Rosen4 , Willoughby B. Britton
https://journals.plos.org/plosone/article/file?id=10.1371/journal.pone.0176239&type=printable
Meditation-induced psychosis: a narrative review and individual patient data analysis
https://www.researchgate.net/publication/336922683_Meditation-induced_psychosis_a_narrative_review_and_individual_patient_data_analysis
Intensive whole-brain 7T MRI case study of volitional control of brain activity in deep absorptive meditation states
https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC10793575/pdf/bhad408.pdf
Investigation of advanced mindfulness meditation “cessation” experiences using EEG spectral analysis in an intensively sampled case study.
https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0028393223002282
Pleine conscience, régulation émotionnelle et psychose : états des connaissances et applications cliniques
https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/10346/EL-Khoury_Bassam_2013_these.pdf
Progress or Pathology? Differential Diagnosis and Intervention Criteria for Meditation-Related Challenges: Perspectives From Buddhist Meditation Teachers and Practitioners
https://www.frontiersin.org/journals/psychology/articles/10.3389/fpsyg.2020.01905/full[/size]
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