Stéphane Baillargeon
Publié le 9 juin Mis à jour le 10 juin
Il avait un côté rabelaisien et la tête d’un pêcheur, barbe touffue, tête hirsute et pipe comprises. Victor-Lévy Beaulieu était une sorte de machine à écrire faite homme et aucun genre ne lui était étranger : le roman, le théâtre, les essais critiques et polémiques, les biographies, les téléfeuilletons, le reportage, la chronique ou la poésie. Considéré comme un des plus grands écrivains québécois, l’homme de lettres est décédé à l’âge de 79 ans.
Il aimait profondément son coin de monde, qu’il a célébré par des milliers et des milliers de pages. Il souhaitait viscéralement l’indépendance du Québec et il avait pour volonté d’ériger un pays en élevant une littérature à sa hauteur. Grand lecteur, il a consacré beaucoup de livres à ses grands prédécesseurs, en plus d’écrire plusieurs téléromans à succès pour Radio-Canada et de devenir un éditeur de choix.
Sa vie très, très bien remplie au service des mots s’est arrêtée dans la nuit de dimanche à lundi, dans sa résidence de Trois-Pistoles.
« Il voulait mourir chez lui accompagné de ses filles. C’était un homme simple, au fond, malgré les apparences de complexité qu’il pouvait avoir. Ce qui était important, c’est son monde, d’être ensemble », a déclaré sa fille Mélanie en entrevue au Devoir.
L’écrivain d’exception, auteur d’une des œuvres les plus fournies du pays, naît à Saint-Paul-de-la-Croix en 1945.
« Je suis le sixième d’une famille de treize enfants. Je n’ai jamais vécu plus de cinq ans au même endroit », écrit-il dans les années 1970. Il vit alors depuis des années à Trois-Pistoles, où il est un entrepreneur de la culture peu ordinaire, animant une maison flanquée du nom de son patelin, mais aussi un café-théâtre, entre autres choses.

Photo: Denis Plain Archives Jacques Ferron, Victor-Lévy Beaulieu et Gaston Miron
Un boulimique d’écriture
Grand lecteur et boulimique d’écriture, il se démarque au début de sa vingtaine, en 1967, avec un court essai sur Victor Hugo qui remporte le prix Larousse-Hachette. Le grand écrivain du XIXe siècle, dont il porte le prénom, sera aussi le sujet de son premier livre-hommage, Pour saluer Victor Hugo, en 1971. D’autres suivront pour saluer les écrivains qu’il admire Jack Kerouac (1972), Monsieur Melville (1978), Seigneur Léon Tolstoï (1992), Voltaire (1994) et puis encore James Joyce, Nietzsche et Jacques Ferron. Il adulait particulièrement ce maître québécois.
Son premier roman, Mémoires d’outre-tonneau, paraît en 1969. Il en publiera bien d’autres, souvent au rythme d’une livraison par année, pour un total d’au moins 70 titres dans ce seul genre, tous écrits à la main. Sa discipline de créateur le pousse vers une de ses tables de travail (une pour chaque genre littéraire) tous les matins, selon un programme fixé d’avance.
Son œuvre romanesque est décrite comme « touffue et à la première lecture assez déroutante » par un critique littéraire. Un autre parle d’un « tortionnaire du langage », puisque son style use et abuse des jeux de mots, du calembour et d’autres manipulations stylistiques. En plus, Victor-Lévy Beaulieu maintient constamment une tension dans ses récits entre une réalité québécoise et une fantaisie onirique sans bornes.
Il s’adonne aussi à des mélanges inusités et audacieux : le récit (Blanche forcée), la lamentation (N’évoque plus que le désenchantement…), l’hymne (Sagamo Job J), la saga humoristique (La tête de monsieur Ferron), tous publiés en quatre années à la fin des années 1970.
Journaliste, scénariste et scripteur
Aucun genre d’écriture ne le rebute. Il commence une carrière de journaliste et de chroniqueur à l’hebdomadaire Perspectives dès 1966, poste qu’il tiendra une décennie tout en travaillant pour d’autres publications.
Il est aussi scripteur au poste de radio CKLM, puis auteur de nombreux textes diffusés à la radio, notamment pour les émissions Documents et La feuillaison. On lui doit aussi le scénario du Grand Voyage, réalisé par Marcel Carrière en 1975, et le téléfilm Hamlet en Québec.
Il se démarque encore plus avec ses talents de scénariste pour la télé. Race de monde (1978-1981) lance sa carrière à la télévision de Radio-Canada. L’héritage suit (1987-1990) et s’avère un des plus grands succès de la télévision québécoise, suivi de manière hebdomadaire par plus de 2 millions de téléspectateurs.
L’histoire remplie de rage et de mal de vivre met en scène la famille Galarneau, déchirée par l’inceste. Elle se déroule essentiellement à Trois-Pistoles et met en vedette Gilles Pelletier, Nathalie Gascon, Yves Desgagnés et Sylvie Léonard. M. Beaulieu scénarise ensuite Montréal P.Q. et Bouscotte, tous deux diffusés à Radio-Canada.
En même temps, l’écrivain travaille dans le milieu de l’édition. Après quelques années comme directeur littéraire aux Éditions du Jour (1969-1973), il fonde sa propre maison, L’Aurore, puis la Maison VLB, et finalement les Éditions Trois-Pistoles.
Victor-Lévy Beaulieu est aussi un défenseur de la cause indépendantiste fort en gueule. En 2007, il prend ses distances du Parti québécois, qu’il juge trop frileux sur la question de l’indépendance. Il se présente les années suivantes comme candidat indépendant, mais n’obtient que quelques pourcentages des voix.
Son œuvre a été récompensée par plusieurs prix, dont le prix Gilles-Corbeil de la Fondation Émile-Nelligan pour l’ensemble de son œuvre (2011).
Victor-Lévy Beaulieu laisse dans le deuil ses deux filles. Une cérémonie aura lieu mardi à Trois-Pistoles. Un autre hommage est prévu le 2 septembre, jour de son anniversaire.
Avec Jean-François Nadeau
Source : https://www.ledevoir.com/culture/889309 ... est-decede
